Énergie
Les enjeux du secteur
En France en 2020, 65%[1] de la consommation d’énergie finale est assurée par des carburants fossiles (pétrole, gaz et marginalement le charbon) qui sont majoritairement importés de l’étranger. Ainsi, en termes d’énergie finale, l’électricité et les énergies renouvelables thermiques (respectivement 25% et 10% de la consommation finale) sont les principales énergies produites en France. De façon plus marginale, une production d’hydrocarbure (raffinage et traitement de combustibles solides) est également présente en France.
Le secteur de la production d’énergie sur le sol français est responsable d’environ 10% des émissions françaises de GES, dont plus de 50% est à attribuer à la production d’électricité et de chaleur.
Le secteur de l’énergie française va faire face à deux bouleversements de taille tout au long des 30 prochaines années, qui vont le contraindre à fortement évoluer :
- Le vieillissement du parc nucléaire français va nécessiter d’importants travaux de rénovation d’ici à 2050. Compte-tenu des capacités actuelles de la filière nucléaire et de l’inertie inhérente au développement d’un nouveau parc, la part du nucléaire dans le mix électrique français va nécessairement être amenée à diminuer d’ici 2050.
- Dans un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, tous les travaux de prospective récents s’accordent sur le fait qu’une baisse drastique de la part des énergies fossiles dans le mix énergétique va se traduire par une forte électrification des usages : la part de l’électricité dans le mix énergétique totale devrait passer de 25% (2022) à 60% (2050)[2].
Le premier enjeu du secteur de la production d’énergie est donc de construire de nouvelles capacités électriques très faiblement carbonées afin de progressivement remplacer au moins une partie du parc nucléaire vieillissant, ainsi que de subvenir à l’augmentation de la demande.
Le second enjeu consiste à globalement diminuer les émissions de GES du secteur afin d’atteindre une neutralité carbone quasi complète en 2050 (objectif SNBC).
Compte tenu de ces enjeux, la loi actuellement en vigueur a fixé des objectifs, qui ont été intégrés dans la SNBC[3]. En terme de production d’énergie, la loi prévoit ainsi :
- À horizon 2020 : porter à 23% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie.
- En 2030 : porter à au moins 33% la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie
- À horizon 2035 : passer à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité.
- Par ailleurs, la loi table sur une disparition à brève échéance du charbon dans la production électrique.
L’objectif étant d’atteindre une baisse de 33% des émissions liées à la production d’énergie d’ici 2030 et une décarbonation quasi complète d’ici 2050.
Dans cette perspective, les leviers envisageables et envisagés par l’ensemble des travaux de prospectives récents[4] sont :
- Développement massif des énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse, hydroélectrique, énergies marines) et de récupération de chaleur (géothermie, déchets) ;
- Efforts importants en termes d’efficacité énergétique voire de sobriété dans les usages afin de garantir une baisse globale de la consommation d’énergie finale (-40%[5] à – 50%[6] en 2050 par rapport à aujourd’hui selon les scénarios) ;
- Augmentation de la production d’électricité pour répondre à l’électrification massive des usages ;
- Développement ambitieux mais contrôlé des filières énergétiques secondaires (biomasse agricole et forestière, biogaz, agro-carburants, hydrogène, etc.) pour les usages non electrifiables ;
- Limitation de l’usage des énergies fossiles aux seuls usages indispensables.
S’il existe un consensus parmi les experts sur la nécessité d’actionner l’ensemble de ces leviers, les différents scénarios envisagés se démarquent essentiellement sur le mix électrique à développer d’ici à 2050. Les différents mix électriques envisagés peuvent ainsi être classés selon la part du nucléaire à horizon 2050.
- À une extrémité du spectre figure un mix électrique 100% renouvelable fondé essentiellement sur l’éolien (sur terre et en mer), le photovoltaïque et de façon moins importante sur l’hydraulique (voir mix M0 de RTE).
- À l’autre extrémité du spectre figure un mix électrique comprenant une forte part du nucléaire (jusqu’à 50 GW de puissance installée), complétée par l’éolien, le photovoltaïque et l’hydraulique. Ce mix électrique correspond au mix électrique envisagé par le PTEF, à partir du mix N03 de RTE.
Tout un spectre existe entre ces deux scénarios : la part du nucléaire peut varier selon les rythmes de fermeture des réacteurs historiques et de déploiement des nouveaux réacteurs, de même que la part des renouvelables selon le rythme et les stratégies de déploiement envisagés. Il est à remarquer que même le scénario qui comporte le moins d’énergies renouvelables (ENR) considère comme indispensable une forte augmentation du solaire (x7 par rapport à l ‘existant) et de l’éolien terrestre (x2.5 par rapport à l’actuel)
[1] Chiffres clés de l’énergie 2021, Ministère de la Transition Écologique
[2] Selon le PTEF et le scénario de référence RTE, Futurs énergétiques 2050
[3] Loi de transition énergétique pour la croissance verte (2015) ; Loi Énergie-Climat (2019)
[4] RTE, Futurs énergétiques 2050; ADEME, Transitions 2050; négaWatt 2022
[5] Hors consommation du secteur énergétique. Voir p. 11, Principaux résultats in RTE, Futurs énergétiques 2050.
[6] Consommations du secteur énergétique incluses. Voir p. 56, The Shift Project, Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française, Odile Jacob, 2022.
Les positions des candidats quant à la décarbonation du secteur
Tous les candidats évoquent la question du mix énergétique sans toutefois partager les éléments de vérification de l’adéquation entre demande d’énergie finale et capacités de production, ainsi que la part d’énergie fossile qui demeurera. A fortiori, peu de candidats chiffrent les besoins ou les capacités de façon détaillée. Parmi les candidats, seuls cinq programmes font explicitement référence à des travaux de prospective pour lesquels une trajectoire de consommation précise existe, sans toutefois indiquer un accord aussi bien avec le volet besoin et le volet production de ces scénarios.
Cette absence de “bouclage énergétique” précis est un point faible des programmes des candidats qui questionne sur l’importance pour eux de ce sujet et de son caractère transversal. Plusieurs travaux de prospectives expertisés et chiffrés étaient pourtant disponibles dès 2021.
Il existe un quasi consensus parmi les candidats pour développer de nouvelles capacités de production électrique afin de remplacer le nucléaire vieillissant ou accompagner l’électrification des usages (ce qui n’est pas toujours précisé).
Si le développement de nouvelles capacités électriques fait consensus parmi les candidats, les choix de mix électrique sont caractérisés par des positions divergentes :
- À gauche, à une exception près, les candidats souhaitent une sortie plus ou moins rapide du nucléaire qui est au mieux considérée comme une énergie de transition. Ils prônent un mix électrique 100% renouvelable à un horizon temporel très variable ou même indéfini.
- À l’inverse, la droite et le centre sont marqués par une volonté forte de relancer la filière nucléaire par le développement de nouveaux réacteurs.
Pour ce qui est des ENR, la plupart des candidats sont favorables à leur déploiement. Certains demeurent néanmoins réticents voire opposés au développement de certaines ENR et en particulier l’éolien terrestre.
Au-delà de la production finale d’électricité, les autres leviers que sont la décarbonation des réseaux de chaleur et le développement d’autres filières énergétiques secondaires fondées sur la biomasse et l’électricité décarbonée sont couverts de façon très hétérogène par les candidats. Certains candidats se focalisent presque exclusivement sur la production d’électricité et très marginalement sur les autres vecteurs énergétiques. Aussi, lorsque d’autres vecteurs sont évoqués, ils sont rarement mis en perspective par rapport aux besoins. Par exemple, le vecteur hydrogène a pu être évoqué dans certains programmes, sans que son rôle précis dans le système énergétique soit abordé.
Enfin, les leviers d’efficacité énergétique voire de sobriété sont trop rarement évoqués dans les programmes des candidats. Il s’agit pourtant de leviers fondamentaux pour permettre la réduction de la consommation finale d’énergie, recommandée par tous les travaux de prospectives récents.
Les leviers absents des programmes
L’absence de présentation du bouclage énergétique, c’est-à-dire d’une approche globale où les capacités de production envisagées sont mises en adéquation avec une trajectoire de consommation explicite, est sans doute le manque le plus important dans les programmes. Le secteur de l’énergie est en effet un secteur structurant qui doit être dimensionné en fonction des besoins des autres secteurs et des objectifs de décarbonation.
Les programmes ne reflètent pas l’ampleur des transformations qu’il faudra mettre en œuvre dès le quinquennat à venir pour tenir la ligne de crête, à savoir une action conjointe de l’ensemble des leviers de sobriété, gains d’efficacité, renouvellement du nucléaire et déploiement des ENR.
La coordination requise entre les différents secteurs pour se préparer à la baisse de disponibilité de carburant liquides et gazeux n’est pas non plus explicitée dans les programmes des candidats.
Les adaptations importantes du réseau électrique nécessaire à l’évolution des besoins (réseau de charge de véhicules électrique) et de production (source d’ENR disséminées) ne sont pas explicitement mentionnées comme un grand chantier dans les programmes. De même, lorsqu’un mix électrique 100% renouvelable est proposé, le développement des moyens de flexibilité nécessaires (interconnexions avec les pays voisins, stockages, centrales thermiques au gaz décarboné, etc.) devraient être proposés.
Pour conclure, les fortes incertitudes inhérentes à la transformation du système énergétique (et électrique en particulier) sur une durée aussi courte semblent avoir été peu prises en compte par les candidats. Le secteur de l’énergie est une industrie du temps long qui va être amenée à évoluer dans un monde très contraint à l’avenir. La prise en compte de l’ensemble de ces contraintes pour le dimensionnement du système énergétique futur doit se faire à travers une approche de planification globale, au risque que l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 ne soit pas atteint. Une telle approche systémique semble malheureusement avoir manqué dans l’élaboration des programmes des candidats.
Retrouvez l’analyse et les propositions faites dans le cadre du Plan de Transformation de l’Économie Française du Shift Project pour ce secteur sur leur site.