Numérique
Les enjeux du secteur
Si la part du numérique dans les GES françaises n’est “que” de 2% actuellement, c’est surtout sa dynamique à venir qui inquiète : la quantité de GES attribués à ce secteur pourrait croître de 60% d’ici 2040, et ainsi dépasser les émissions du transport aérien, si rien n’était fait pour limiter sa croissance.
Actuellement, les émissions du secteur numérique peuvent être distinguées en deux catégories :
- la fabrication et distribution des terminaux (ordinateurs, télévisions, téléphones mais aussi casques de réalité virtuelle, consoles, imprimantes, etc), qui représentent 70 % des émissions.
- les usages (la consommation), représentant donc 30 % (dont plus de la moitié due au streaming vidéo).
Cette répartition est une spécificité française. En effet, au niveau mondial, nous observons la répartition suivante : 44% (fabrication & distribution) contre 56 % (usages). Cette particularité s’explique d’une part par l’énergie faiblement carbonée produite dans l’hexagone, utilisée dans la catégorie « usages », d’autre part par le fort taux d’importation des terminaux provenant de pays où l’intensité carbone de l’électricité est bien plus importante qu’en France.
A l’avenir, la croissance des émissions du numérique sera principalement due aux projets numériques d’envergure (déploiement de la 5G, automatisation via l’internet des objets …) et aux data centers.
En parallèle, le numérique est également envisagé comme un moyen de réduire la consommation d’énergie dans bon nombre de secteurs via une utilisation plus efficace des ressources (« smart grids », « smart building », « industrie 4.0 » …). Pour anticiper d’éventuels “effets rebond” : c’est-à-dire éviter que des baisses d’émissions permises grâce à une nouvelle technologie soient annulées par l’augmentation des usages[1], il sera important de conduire une évaluation précise des impacts environnementaux de chaque futur projet numérique.
On peut noter qu’une loi “pour réduire l’empreinte du numérique” a déjà été votée en France, même si son manque d’ambition est critiqué par certains acteurs, elle pose la base de divers principes, comme la sobriété numérique, et fait la promotion du reconditionné.
Différents leviers sont envisageables pour maîtriser les émissions de GES du secteur numérique. On peut séparer ces leviers en quatre catégories :
- Sensibiliser les différents acteurs (privés, publics, grand public) : campagnes d’information et de formation, définition de cadres méthodologiques d’évaluation d’impact, etc.
- Limiter le renouvellement des terminaux : favoriser le réemploi, limiter l’obsolescence programmée, etc.
- Faire émerger des usages du numérique écologiquement vertueux : modifier les techniques actuelles de conceptions des sites internet, encadrer les forfaits mobiles, etc.
- Améliorer la performance énergétique des data centers et des réseaux : incitation à l’installation de data center en France, favoriser les technologies moins énergivores comme la fibre, etc.
[1] Par exemple, l’arrivée des fournisseurs de services dans le “nuage” (cloud) à permis une meilleur gestion des ressources informatiques, donc une économie d’énergie pour un site internet donné, mais ils ont également simplifié la création des sites web et ont donc engendré une augmentation drastique du nombre de ces sites et de l’énergie finalement dépensée.
Les positions des candidats quant à la décarbonation du secteur
Le réemploi, le reconditionnement et l’obsolescence programmée sont des notions développées dans quelques programmes via des mesures variées : “Plan d’approvisionnement durable en terres et métaux rares” réglementation sur l’obsolescence programmée ; ou encore développement des filières de réemploi et de reconditionnement d’équipements électroniques .
Bien que s’attaquant à la plus grosse catégorie d’émission : la fabrication et la distribution des terminaux (70% du numérique), ces mesures n’auront que peu d’effet étant donné le faible taux de fabrication d’équipement ayant lieu en France.
Le deuxième type de mesures qui a été abordé par plusieurs candidats concerne la consommation et la construction des data centers, qui est évaluée à 14% des GES actuelles du numérique mais qui pourrait croître de 86% d’ici 2040. Ici encore, les mesures proposées sont variées : charte de réduction de leur empreinte carbone pour les principaux opérateurs de Data Center ou bien conditionnement des autorisations de construction des data centers à la publication et validation d’une étude d’impact environnemental, ou à une baisse de la consommation électrique.
On peut également noter des objectifs de souveraineté numérique, notamment pour des solutions françaises de service cloud et d’hébergement de données. De telles approches ont déjà été engagées, avec des succès mitigés. On peut donc s’interroger sur les contours et la faisabilité de cette proposition mais en cas de succès on peut effectivement anticiper un impact positif sur notre empreinte carbone car l’énergie française est moins carbonée que celle des acteurs actuels du numérique (principalement les Etats Unis).
Quelques candidats proposent de déployer la fibre sur l’ensemble du territoire national, tandis que d’autres préfèrent “déployer les technologies existantes” à toutes les zones dites “blanches” (non desservies par un réseau). Or la fibre est moins émettrice que les technologies mobiles (4G, 5G) et l’extension du réseau aux zones blanches a déjà été initiée par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Un seul candidat propose de développer le métavers, ce qui augmenterait de manière significative les émissions carbone liées à cet usage.
Les leviers absents des programmes
On peut noter qu’aucune mesure ne concerne l’usage des terminaux (l’impact de la vidéo en ligne notamment), qui représente 15% des émissions du numérique et qu’il n’y a pas de réflexion de fond concernant les conséquences engendrées par l’application des nouvelles technologies numériques, comme la 5G, qui a pourtant fait débat.
La sobriété numérique (ou “Usage du numérique écologiquement vertueux” selon le rapport d’information du Sénat) qui consisterait à favoriser une consommation plus raisonnée, optimiser la durée de vie de nos terminaux, etc, est également absente de l’analyse des candidats – Autant d’éléments qui contribueront à contenir ce secteur fortement énergivore et en croissance quant à son impact carbone.
Enfin, la question des ressources utilisées (terres rares, eau, énergie primaire…) manque aux propositions des candidats.
De manière générale, on peut regretter le manque de précisions des différentes mesures concernant le secteur du numérique : aucune de celles-ci n’est chiffrée ou détaillée ce qui ne nous permet pas de faire une analyse précise des baisses d’émissions qu’engendreraient ces mesures.
Plus généralement l’établissement d’une gouvernance du numérique aux différents niveaux (national, par secteur, entreprises) est indispensable pour fixer les règles permettant de respecter les trajectoires de décarbonation. Pour se faire, il conviendra de fixer des objectifs quantitatifs aux différents acteurs du domaine, leur permettant aussi de ré-inventer les modèles économiques compatibles avec la diminution des impacts.
Retrouvez l’analyse et les propositions faites dans le cadre du Plan de Transformation de l’Économie Française du Shift Project pour ce secteur sur leur site.