Notre décryptage des programmes

Tous les récents rapports scientifiques montrent que la question climatique et les choix politiques, économiques, sociétaux qui en découlent devraient être centraux. Or, l’analyse que nous avons menée sur les programmes des candidats à l’élection présidentielle nous montre que nous sommes très loin du compte pour diviser par cinq notre empreinte carbone d’ici 2050. Si l’objectif de la neutralité carbone en 2050 est repris par beaucoup, il reste une ambition lointaine sans point d’étape intermédiaire pour l’atteindre.

La décarbonation est encore loin de faire l’objet d’une approche globale et planifiée

Seule une partie des candidats esquisse une approche planifiée de la transition écologique et propose une gouvernance mobilisant tous les acteurs (Etat, Collectivités, Entreprises, Citoyens, …). La planification se limite largement à une ambition affichée, éventuellement avec une méthode pour la définir, sans calendrier et priorisation claire des sujets, à l’exception pour la plupart des candidats de la trajectoire en termes de production d’énergie ou de rénovation des bâtiments. La décarbonation est ainsi le plus souvent considérée comme une thématique isolée, avec une portée limitée, et très peu de candidats envisagent d’intégrer cette dimension à l’ensemble des décisions qu’ils auront à prendre durant leur mandat. 

Il convient par ailleurs de souligner que certains programmes mettent en avant des mesures sans souci de cohérence générale. Ainsi, aucun ne montre par un chiffrage que les besoins en énergie décarbonée seront couverts par les capacités de production qu’ils proposent. Certains font par exemple le pari de l’hydrogène sans envisager la question des besoins en électricité que cette solution induit.  De même, certaines solutions sont envisagées sans que les candidats ne tiennent compte de leurs éventuelles externalités. Le développement des biocarburants est ainsi régulièrement énoncé sans considération visible concernant la déforestation ou les conflits d’usage des sols que cela pourrait engendrer. Un rôle essentiel de la planification consiste à réaliser les arbitrages, dans un cadre démocratique et en assurant l’équité sociale. La compétition entre les différents secteurs pour les ressources énergétiques décarbonées disponibles en quantité limitée serait ainsi arbitrée par d’autres mécanismes que le marché. 

Autre signe du faible niveau de planification de la transition, très peu de programmes affichent des mesures pour accompagner en termes de compétences et d’emplois les secteurs en mutation. La transition est parfois vue comme une opportunité de créer des emplois et de l’activité, notamment pour l’industrie ou encore l’agriculture. Cependant, alors même que des évolutions fortes et rapides en termes d’augmentation (pour la rénovation énergétique par exemple) ou de disparition d’emplois (pour l’industrie automobile par exemple) sont à prévoir pour mener une transition d’envergure, ces aspects sont très peu considérés par les candidats. L’essor de nouvelles compétences via la formation pour accompagner le déploiement d’innovations, ou encore la reconversion professionnelle pour accompagner les mutations des secteurs ne sont ainsi quasiment jamais anticipés. 

Enfin, les ressources que les candidats souhaitent consacrer à la transition font partie des éléments chiffrés – même partiellement – par bon nombre de programmes, mais l’effort budgétaire promis est largement insuffisant au regard des enjeux. Les considérations court-termistes prennent ainsi le pas sur des investissements pourtant indispensables aujourd’hui pour éviter des conséquences encore plus dramatiques et coûteuses d’ici quelques années. 

La plupart des candidats ne proposent donc pas une vision systémique et anticipée de la transition, mais proposent des mesures parcellaires qui ne permettront pas à elles-seules de répondre à nos engagements de l’accord de Paris.

Secteur par secteur, les choix potentiellement clivants sont largement absents

Certains leviers de décarbonation font l’objet de propositions convergentes de la part des candidats (Cf. Infographie 1). La rénovation des bâtiments – mesure qui présente l’avantage de créer une activité économique significative dans le secteur du bâtiment et ne pas nécessiter de changement d’habitude – est ainsi plébiscitée. De même, le développement de l’agriculture biologique, qui rencontre un écho positif dans la population, est régulièrement évoqué. La voiture électrique qui impacte faiblement les habitudes de mobilité existantes fait également partie des propositions récurrentes, celle-ci n’étant malgré tout pas suffisante pour répondre aux enjeux du secteur.

Infographie Couverture SNBC

Cependant, les candidats se risquent peu à proposer des mesures qui impliquent des changements de consommation ou de production. Ainsi, la diminution de la part carnée dans l’alimentation, à contre pied de la hausse de la consommation de viande associée à la hausse du niveau de vie depuis deux siècles, est abordée de manière marginale et euphémisée par les candidats. La transition vers les mobilités douces, le ferroutage, ou encore la cyclo-logistique – qui nécessitent des changements de référence dans une société habituée à disposer d’une énergie abondante et relativement peu chère – n’est ni suffisamment réglementée ni suffisamment accompagnée pour créer le basculement rapide nécessaire.  Par extension, aucune réflexion n’est donc apportée sur une transformation approfondie de notre environnement quotidien. La possibilité de penser différemment l’organisation de nos lieux de vie et d’activité, ou l’évolution du partage des voiries entre les différents usages, ne sont ainsi jamais évoquées.

La promotion d’un modèle d’automobile partagée, ou la réduction de la taille et de la puissance des véhicules, par incitation ou obligation, mesures peu favorables au secteur de l’industrie automobile, sont aussi très régulièrement absents. Il en est de même du tourisme bas-carbone qui pose la question de l’évolution des emplois pour les professionnels concernés, question rarement anticipée comme évoqué précédemment. 

Au-delà des changements d’habitude, la transition implique d’importantes questions d’équité sociale auxquelles les candidats présentent peu de réponses, et parfois à l’opposé des évolutions nécessaires. Bon nombre de candidats promettent par exemple de limiter la hausse des coûts des véhicules individuels (via par exemple la baisse du prix des péages) favorisant ainsi  leur usage au lieu de le réduire. Très peu de candidats font ainsi l’effort de proposer une “transition juste” combinant l’équité dans les changements pour des pratiques sobres et l’accompagnement financier des investissements de transition.

La production d’énergie est reconnue par la plupart des candidats comme un enjeu majeur et chacun propose une solution. Cependant elle est marquée par des positions tranchées et souvent diamétralement opposées. Le débat ayant longtemps été polarisé autour du nucléaire, une opposition nouvelle émerge autour de l’éolien. Les positionnements respectifs des candidats à ce sujet ne reflètent parfois pas tant des choix pragmatiques basés sur les mérites et les risques respectifs de chacune des solutions que sur des positions assez dogmatiques faisant largement l’impasse sur les analyses et les scénarios des acteurs du secteur.  

Enfin, certains secteurs semblent toujours peu identifiés comme des leviers de décarbonation et font donc rarement l’objet de propositions. C’est ainsi le cas de l’industrie lourde, de la forêt ou du numérique.

La méthode proposée questionne la capacité à réaliser la transition

Tous les scénarios de transition énergétique de la littérature montrent que la décarbonation implique nécessairement la réduction de la consommation d’énergie, réduction ne pouvant s’obtenir que grâce à l’activation simultanée des leviers d’efficacité énergétique et de sobriété. 

La sobriété implique une baisse de l’usage et donc un changement de pratique, que ce soit un renoncement (plus d’avion du tout), une réduction (partir moins souvent mais plus longtemps), ou une substitution (utiliser le vélo plutôt que la voiture). La notion de sobriété a ainsi émergé dans les discours et les propositions de plusieurs candidats – avec par exemple l’interdiction des vols inférieurs à une certaine durée – sans toutefois gagner une place suffisante (Cf. Infographie 2). Elle est même parfois utilisée en la détournant de son sens impliquant un changement d’usage, pour désigner un gain d’efficacité énergétique (l’avion à hydrogène, les carburants alternatifs) ou encore une baisse d’activité nuisible telle que les embouteillages.

Infographie Technologies / Sobriété

Les candidats privilégient ainsi régulièrement les approches technologiques (mise en place de véhicules électriques par exemple) sans nécessairement y associer des mesures complémentaires de sobriété (par exemple diminution de la vitesse sur autoroute). L’avantage, de leur point de vue, de ces approches technologiques et en particulier de l’innovation sont nombreux : au-delà de l’imaginaire positif projeté par ceux-ci, l’activité économique qu’ils créent pour des entreprises est importante. Pourtant, ces avancées technologiques induisent parfois des changements de mix énergétique ou d’utilisation de ressources qui sont rarement anticipés. L’avion à l’hydrogène impliquera ainsi une consommation accrue d’électricité, alors même qu’en produire de manière suffisante et décarbonée n’est pas garanti par les scénarios proposés.  

De plus, ces avancées représentent parfois de véritables paris (Cf. Infographie 3) puisque leur date de disponibilité ou même leur performance effective restent incertaines. Ces innovations de rupture devraient donc davantage être vues comme des approches complémentaires permettant en cas de succès de relâcher l’effort de sobriété, plutôt que des solutions à part entière.

Infographie Technologies

Par ailleurs, les candidats tendent à privilégier les leviers incitatifs : soutien financier, conditionnalité des aides, etc. (Cf. Infographie 4). Si cette approche contribue à améliorer l’acceptabilité des mesures, dans la situation d’urgence à agir, elle rend incertaine la maîtrise du calendrier et l’ampleur de ses effets. 

Infographie Obligation / Incitation

Conclusion

La science doit être écoutée mais elle ne fournit pas de mode d’emploi. Des choix politiques doivent être faits pour trouver les équilibres entre les contraintes physiques et les questions sociétales. Comme le montre notre analyse, le débat démocratique sur ces questions n’advient malheureusement pas dans cette campagne présidentielle 2022. 

La planification et la gouvernance de la transition écologique sont clés pour rendre celle-ci possible, juste et suffisamment rapide. C’est un exercice de démocratie aussi exigeant qu’essentiel. Il commence par un bulletin de vote et doit se poursuivre au-delà dans chacune de nos actions, décisions, prises de position, pour mobiliser le plus grand nombre face aux enjeux de la situation exceptionnelle qui est la nôtre.

Nous sommes collectivement devant des choix de société difficiles mais assumer ces choix serait un signe de notre maturité en tant que société qui réintègre les réalités physiques et le temps long dans sa relation au monde.

FranceInfo, 29 mars 2022 – Entretien avec Jean-Marc Jancovici et Laurent Mercey.